Au travail, en couple, existe-t-il de bonnes disputes ?
Le conflit n’a pas bonne presse. Peut-être va-t-il à l’encontre d’un idéal de relation que chacun porte plus ou moins au fond de soi. Et pourtant, au travail comme en couple, existe-t-il une « bonne » conflictualité ?
Si le couple est porté dès le départ par des valeurs affectives fortes- celles justement qui paraissent étrangères au monde du travail- la vie quotidienne donne l’occasion d’une exposition répétée aux différences de l’autre sur des sujets aussi divers que le rythme de vie, les loisirs, les habitudes héritées de l’enfance… Cela suppose des réajustements permanents, parfois des frictions ; certains se mettront en colère, d’autres préféreront bouder. Bien sûr il est préférable de prendre le temps d’une communication plus apaisée en choisissant le moment favorable, en s’exprimant à la première personne sans accuser l’autre.
Lors d’une dispute, l’altérité peut surgir de façon vive, nous donnant de découvrir profondément qui est celui ou celle qui vit à nos côtés. Et, par-delà le désaccord, « son » idée du bonheur, la « mienne », « ses » rêves, « notre » idéal de couple … Ainsi la construction du couple passe aussi par des confrontations, douces ou plus rugueuses, au « monde » de l’autre.
Au travail, les conflits exprimés se focalisent souvent sur des attitudes relationnelles avec des propos comme « c’est impossible de travailler avec lui, il se comporte comme un vrai petit chef » ou bien « elle m’énerve avec son bavardage incessant ». A tel point que certaines personnes, en arrêt de travail depuis longtemps, déclarent « ne plus pouvoir retourner au travail ». Elles semblent avoir atteint un point de non-retour, d’autant plus problématiques que leur santé est déjà altérée (troubles du sommeil, douleurs diverses, voire symptômes dépressifs). Par expérience, lorsque on prend le temps de les écouter, on parvient à comprendre avec elles ce qui a pu être l’origine du conflit : pour cela, il est intéressant de leur demander de décrire précisément leur activité de travail, dans les moindres détails. Cette mise en mots permet à la personne de comprendre de façon fine ce qui se joue pour elle dans son activité professionnelle : la nature du conflit avec le collègue s’éclaire enfin, notamment autour de la question du « travail bien fait ». En effet, les critères de qualité varient sensiblement d’un professionnel à l’autre … sans parler des attentes de la hiérarchie ! Ainsi, pour l’un, l’essentiel est d’avoir pu conseiller son client en répondant le plus fidèlement possible à ses besoins, pour l’autre il se sent fier de son travail lorsqu’ il a signé un contrat particulièrement lucratif pour son agence. Si les deux collègues travaillent dans la même équipe, on comprend que des désaccords surgissent. Etonnamment, les protagonistes n’en ont pas forcément conscience… C’est ainsi que certains auteurs (1) encouragent « la dispute professionnelle ». Elle est favorisée par l’existence d’espaces de délibération sur le travail dans les entreprises. D’où l’importance des moments informels autour de « la machine à café » (qui ont pu faire cruellement défaut dans ces temps de télétravail forcé !), surtout si l’organisation du travail n’a rien prévu pour débattre entre collègues. Alors, oui, il est bon de se disputer au travail et d’échanger sur ce qu’est « un travail bien fait », cela donne du sens au travail et aide à constituer un collectif. Pour cela, des conditions sont requises : confiance, non jugement, respect d’autrui …malheureusement elles ont parfois disparu dans les situations très dégradées.
Entre débat autour du « travail bien fait » et découverte de l’altérité pour construire le « Nous » conjugal, le conflit, bien que déstabilisant, peut être porteur de mouvement, de vie, de dépassement.
(1) Le travail à cœur, pour en finir avec les risques psychosociaux, Yves Clot, La Découverte, 2010