Des cœurs à écouter
Les patients que je reçois sont parfois surpris du temps que je prends pour écouter leur cœur. Lorsque certains interrogent : « alors, le palpitant ? », je réponds : ne vous inquiétez pas … et j’écris consciencieusement sur le dossier : « bruits du cœur réguliers, sans souffle ». Ainsi, à la fin d’une journée de travail, j’ai écouté de nombreux cœurs.
Un souvenir est réapparu récemment : mon premier stage d’externe en cardiologie. Le chef de service était un grand et bel Antillais, doté d’un stéthoscope rouge. Je revois la horde d’externes l’entourant entre deux visites pour l’interpeller : « Professeur, dites-nous que notre cœur va bien ! » Et lui de brandir son stétho, faisant mine d’ausculter l’un ou l’autre, pour notre plus grand plaisir. Pas de doute, nos cœurs d’étudiantes ne montraient aucune défaillance, ni organique, ni sentimentale.
Bien sûr, le cœur désigne le muscle cardiaque, mais c’est aussi le siège des sentiments, des émotions, de l’amour, ou encore le centre névralgique d’une activité.
Il y a quelques années j’ai rencontré une dame en situation d’épuisement professionnel, accompagnée de sa petite fille qu’elle n’avait pas pu faire garder. Pendant l’entretien l’enfant se montrait très agitée, agaçant manifestement sa mère. La mère, elle, décrivait une situation de travail bien dégradée, avec beaucoup d’émotion et de larmes. J’écoutais la mère, tout en observant l’enfant, et je m’inquiétais de leur relation : comment l’une et l’autre pouvaient elles avoir leurs places ?
Puis j’ai ausculté la maman, et j’ai prêté le stéthoscope à sa fille pour qu’elle puisse, elle aussi, écouter le cœur de sa mère : la consultation s’est terminée avec ces mots : « as-tu entendu que toi aussi tu es dans le cœur de ta maman ? ». La mère et la fille sont reparties avec le sourire.
Un médecin ausculte (et écoute, parfois !), une conseillère conjugale écoute aussi : au-delà de l’alternance systole/ diastole, ce rythme émouvant, qui nous anime tous, nous relie les uns aux autres de façon invisible (1). Puissions nous être davantage à l’écoute de nos cœurs !
- Cf le livre Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal, aux éditions Verticales, publié en 2014, et le film sorti en 2016, réalisé par Katell Quillévéré.